Nous étions quelques
happy few au café lecture O'Librius ce 7 avril pour accueillir Craig Johnson, accompagné de sa femme Judy. Ambiance décontractée autour d'une table, avec l'aide de Lauren pour la traduction et de Katia qui a fait office de guide pour les amener à bon port. Merci à elles-deux !
Nous avons appris depuis que Craig Johnson a reçu hier même le prix Bibliobs du roman noir 2010 pour
Little Bird. Amplement mérité, tant pour lui que pour le travail des éditions Gallmeister.
Caroline : Comment avez-vous imaginé le personnage de Walt ? Pour le lecteur le passé de Walt est flou, on sait qu’il a fait le Vietnam, mais on connaît peu de choses de son enfance, sa famille...Craig : Bonne question. Je pense d’abord que quand on écrit un roman, on est un peu comme un dealer dans un casino, on donne ses cartes et une des plus grosses erreurs est d’en donner trop d’un coup. Garder certaines choses pour soi, ne pas laisser les gens tout savoir des personnages. J’avais une idée très forte de qui est Walt, où il a été. Je voulais être sûr qu’il arrive de façon naturelle. Je ne voulais pas alourdir. Quand j’assemblais les personnages, je pensais aux protagonistes, une des choses qui était claire pour moi est que je ne voulais pas qu’il soit le héros standard.
Caroline : J’ai lu que vous le voyiez comme triste et sage. Ce n’est pas le « tough guy ».Craig : Non, il est plutôt triste et sage.
Caroline : Oui vous disiez également que votre personnage préféré est le mousquetaire Athos parce qu’il a le coeur brisé.Craig : Oui quand j’étais enfant j’ai lu Alexandre Dumas et j’adorais ce personnage. Plus tard, j’ai lu
Les Misérables, Jean Valjean. Tous les personnages qui m’attiraient quand j’étais lecteur, dans ma jeunesse et plus tard, c’était vraiment les personnages abîmés, qui avaient quelque chose qui n’allaient pas.
Caroline : Dans Le camp des morts Walt a un chien, sa maison est toujours en chantier, ça ressemble à votre emménagement dans le Wyoming non ?Craig : Oui, jusqu’à ce que ma femme arrange le reste de la maison. Ça allait pour un célibataire, de vivre comme ça. Dès que vous introduisez une femme dans votre vie, vous devez nettoyer certaines choses et ça va mieux. D’une certaine manière, le fait que Walt ait un chien à qui il n’a même pas la force de donner un nom, qu’il vive dans une maison qui n’est pas finie... il y a beaucoup de choses comme ça qui donnent des indications sur son personnage. C’est un homme qui ne finit pas les choses, il est à un stade de sa vie où il n’avance plus, il n’a même plus l’air intéressé par le travail accompli, c’est donc difficile pour lui.
Caroline : Le personnage de Vic aussi est important et intéressant. Je la trouve très éloignée des clichés habituels. C’était voulu ?Craig : Absolument. Les romans sont tous racontés à la première personne. C’est comme si Walt vous racontait l’histoire, dans sa tête. Je savais que le roman aurait une narration masculine importante. Je savais qu’il fallait des personnages féminins très forts pour la rééquilibrer. Je pensais à tous ces différents aspects pour les personnages de femmes qui aideraient à équilibrer le livre... En gros, il y a ces lionnes autour de Walt, ces femmes qui le protègent et s’en occupent. Quand je répartissais les responsabilités, pour prendre soin de Walt et le maintenir en vie, l’une était Dorothy du Busy Bee café, elle est en charge de le faire manger, parce que sinon il mourrait de faim, il y a elle ; il y a Ruby la réceptionniste qui prend les post-it et les pose sur sa porte, elle est responsable de la structure de sa vie. Il y en a d’autres comme la fille de Walt, qui est aussi la voix désincarnée au téléphone dans le premier roman. C’est un peu difficile. Et enfin il y a Vic. Un des personnages féminins qui allait travailler de manière rapprochée avec le shérif, tous les jours.
Quand j’ai commencé à penser à ce personnage, j’ai pensé à l’opposé de ce que Walt était. Walt est un homme, elle devait être une femme, Walt est rural, elle devait être urbaine, Walt est intéressé par les conséquences sociales de l’application de la loi, connaître les gens, les environs, elle est plus intéressée par les aspects technologiques, la balistique, le médico-légal, ce genre de choses. Le personnage est vraiment à l’opposé de Walt, j’ai pensé que ça créerait des conflits dramatiques entre eux, un des principaux étant le langage qu’ils utilisent. Walt est très attentif au vocabulaire qu’il utilise, Vic ne l’est peut-être pas autant...
Caroline : Elle jure beaucoup...Craig : Oui ! Mais je ne pense pas que ce soit si rare. Vous savez elle était officier de police dans la ville de Philadelphie. Une très grande ville dans l’est des Etats-Unis, un boulot très difficile. Elle a 4 frères policiers et un père policier. Donc, pour être remarquée, et pour bien faire son travail, elle devait être deux fois plus forte, deux fois plus maligne, et deux fois plus compétente. C’est un personnage très populaire aux Etats-Unis. Par exemple je participais à un évènement dans une bibliothèque au Wyoming, et il y avait une petite dame, je crois que c’était la femme d’un rancher, elle avait 102 ans, je devais aller signer les livres et à ce moment-là elle m’a tiré sur la manche, je me suis arrêté et elle m’a dit « il faut que je vous parle de cette adjointe dans votre livre » et j’étais là genre « ok nous y voilà... ». Je l’ai regardée et elle m’a dit « j’adoooooore Vic ! ».
J’ai une histoire drôle à propos du prochain roman, le troisième dans la série. Quand vous faites des séries, une des choses que les auteurs vous disent, c’est « laisse tes personnages loin du sexe, il faut garder ça le plus longtemps possible, pour le 16e ou 17e roman... » J’ai toujours ri de ça, « avec qui tu sors ? Tu te moques de moi ? 16 ou 17 ans ? Ça n’arrivera pas ! » Donc il est arrivé un moment dans le troisième roman où l’occasion s’est présentée d’elle-même. C’était là. Quand j’ai écrit la scène, c’était vraiment court, juste un paragraphe, une brève séquence. Et donc je suis allé à une rencontre en librairie à Washington, et il y avait une femme qui avait lu le livre et elle me dit « je dois vous parler de cette scène de sexe dans le 3e roman », elle ajoute « cette scène dure bien trop longtemps ! » Je lui ai répondu que ça ne durait qu’un paragraphe : « combien de fois l’avez-vous lu ?? » Elle m’a dit qu’elle avait lu la scène un certain nombre de fois. Il y a beaucoup de sujets délicats dans la littérature, mais je pense que les deux principaux sont la violence et le sexe. Ce sont deux actions physiques auxquelles il faut faire très attention quand on écrit. Dans la société dans laquelle on vit, nous avons la chance de ne pas vraiment connaître la violence, mais elle existe. D’un autre côté, j’imagine que tout le monde dans cette pièce a déjà fait l’amour. Donc quand on écrit là-dessus, il vaut mieux le faire correctement ! Sinon ça devient du vaudeville, très rapidement. Dans la façon dont je parle, la façon dont j’écris, cet humour est très important pour moi. Je pense que c’est une des choses qui fait que mes livres sont un peu à part dans la littérature policière. Il y a beaucoup d’humour. Je crois que toutes les personnes qui ont fait ce boulot de flic savent la seule façon de tenir la journée c’est d’avoir le sens de l’humour.
Caroline : À ce propos je vais vous lire un court passage, entre le shérif, Walt, et son ami Indien Henry Standing Bear :«
- Les pères fondateurs disaient que l’équitation favorise la digestion.
- Quels pères fondateurs ?
- Les miens. Les tiens n’avaient même pas de chevaux avant d’en voler aux Espagnols... »
Craig : L’humour est important pour Walt et la police, mais aussi pour les Indiens. Il n’y a jamais eu un groupe d’individus autant humilié par les clichés. La télévision, les films, les romans... les Indiens ont été affreusement stéréotypés. Je crois qu’une des choses qui casse ça, c’est l’humour. Une des choses importantes pour moi, j’en parle beaucoup, c’est de créer l’empathie, de se mettre dans la peau des personnages, d’arriver à les connaître, et une des meilleures façons que je connaisse pour avoir une forme d’empathie instantanée entre les gens, c’est le rire. Il se passe quelque chose avec l’humour, pas les blagues, l’humour. Parce que l’humour vient de la condition humaine, et je pense que c’est ça le truc.
Caroline : D’où vous vient cet intérêt pour les indiens ?Craig : Nous vivons près d’une réserve. À une vingtaine de kilomètres au sud de la réserve Cheyenne et Crow. Très peu d’entre nous vivent dans les villes. Il y a seulement 500 000 habitants dans l’état du Wyoming. Ça ne fait pas beaucoup de monde. Mais ça fait la moitié de la France. Quelle est la population de Nantes ?
Caroline : 250 000 pour la ville, mais 500 000 avec l’agglomération.Craig : Donc le centre de Nantes fait la moitié de la population du Wyoming !
C’est important pour moi de montrer les lieux d’une façon réaliste, de présenter les différentes personnes qui vivent là. Dans le premier roman l’empathie se fait par les indiens, les Cheyennes, dans le deuxième avec les Basques. Il y a une importante population Basque le long des montagnes Big Horn, et personne ne sait rien sur eux. Il faut transmettre ça aussi. Parce que de bien des façons les livres parlent de votre culture. L’empathie dans
Little Bird venait de l’amitié entre Henry et Walt, et comment cette amitié allait survivre à cette série de crimes. Et plus tard dans le deuxième roman, il s’agit du vieux shérif, Lucian, et l’amitié entre lui et Walt, qui va découvrir quelque chose qui s’est passé 50 ans avant, quel effet cela va avoir sur leur relation.
Caroline : Vous avez commencé à écrire très tard. Comment est-ce que vous avez commencé ? Parce que j’ai lu un article qui disait que vous aviez écrit pour pouvoir payer votre maison...Craig : (rires) Non en fait la maison était déjà construite. Et je l’ai construite moi-même.
Partis sur notre lancée, nous avons oublié de retourner la cassette... miséricorde ! Craig abordait le sujet de l’écriture, le fait que c’était un des projets qu’il s’était fixé et qu’il a décidé de réaliser après avoir fini de construire sa maison, parce qu’il s’est retrouvé à devoir trouver un nouveau challenge. L’écriture est pour lui quelque chose qui se travaille et je lui ai rappelé cette phrase qu’il a citée à un journaliste américain : « je n’ai jamais rencontré un fossoyeur qui dise : je ne sens pas l’inspiration aujourd’hui, la muse des fossoyeurs n’est pas avec moi, je vais poser ma pelle
»Craig : Je crois que c’est l’auteur américain Wallace Stagner qui fait ce constat au sujet des ateliers d’écriture, qu’on ne peut pas vraiment donner à quelqu’un la capacité d’écrire, mais ce qu’on peut faire en tant qu’enseignant c’est de trouver... tout le monde a une étincelle, tout le monde a une compétence et votre travail en tant que prof dans ce cas-là c’est de trouver cette étincelle chez la personne et de l’allumer, pour qu’elle explose.
Caroline : Comment un auteur américain rencontre un éditeur français ?Craig : C’est un processus intéressant. J’ai eu beaucoup de chance parce que j’ai rencontré Oliver Gallmeister quand il cherchait des romans traitant des grands espaces de l’Ouest américain, du « nature writing » et je crois que... c’était comme pour ma publication aux Etats-Unis, j’ai écrit le bon livre au bon moment et il est arrivé sur le bon bureau. C’était courageux de sa part, parce qu’il a lu les romans en anglais et ils étaient un peu plus sophistiqués que les westerns habituels. Il a pris le risque, il s’est dit que les lecteurs français répondraient à ces romans, grâce à cette applications, grâce aux différentes couches qu’il y a dedans. J’ai été vraiment surpris, parce que quelque part je crois que les français ont compris ces romans mieux que les américains ne l’ont fait.
Caroline : Vous visitez souvent la France, vous vous êtes mariés en Italie, vous êtes sensibles à l’Europe ?Judy : On l’adore !
Craig : Exactement. La culture, la nourriture, le vin, les gens... S’il existe des mauvais côtés nous ne les avons pas encore trouvés. Je faisais beaucoup d’escalade, Judy venait avec moi, mais elle aime les hôtels et les restaurants maintenant, et un peu le shopping. Nous sommes allés dans les Dolomites en Italie, dans le Caucase en Russie... La première fois que j’ai posé un pied en France c’était à Chamonix, au Mont Blanc. Je venais beaucoup pour la randonnée. Je ne voyais jamais les villes, que les montagnes. C’est chouette quand je fais les tournées pour mes livres, parce que je vois les villes françaises qui sont plus intéressantes je dois l’admettre, maintenant que je suis plus vieux, et que je ne peux plus escalader... pas comme j’en avais l’habitude.
Caroline : Vous avez déjà pensé vivre ailleurs qu’aux Etats-Unis ?Oui ! Ma femme regarde les annonces immobilières à chaque fois que nous venons ! L’hiver au Wyoming peut être rude. Il y a beaucoup de neige, il fait très froid. Moi ça me va, c’est ce que j’aime, escalader les montagnes... Je m’en fiche du froid, de la neige, mais je crois que c’est un peu long parfois pour Judy. Je vois plusieurs endroits plus chaud où nous pourrions nous réfugier pendant l’hiver. Nous nous mettons toujours au régime pendant plusieurs semaines avant de venir en France. Nous ne mangeons rien. J’ai ris avec ça parce que je parlais avec Oliver et je lui disais « ah, votre nourriture waow » et il m’a répondu « tu sais on à l’avantage d’être entre les Allemands et les Anglais alors tout ce que nous cuisinons semble vraiment bon ! »
Caroline : Ma dernière question, est-ce que vous avez envie d’écrire des romans sans Walt, d’autres histoires ?Craig : Oh oui. J’ai d’autres projets. Je travaille dessus. Une des choses, quand vous êtes auteur, c’est de ne faut pas s’enfermer avec le genre, le style. Il faut écrire d’autres choses pour s’amuser, pour garder de la fraîcheur, de la nouveauté. Je ne veux pas être un de ces auteurs qui répète la même formule encore et encore.
La conversation s’est poursuivie avec
dj duclock et ses questions, Craig et Judy prolongeant volontiers l’échange. Tout le monde en a profité pour pratiquer son anglais et cette première rencontre organisée par l'association a été un immense plaisir.