J'en ai
souvent parlé, de cette horrible expression : "c'est plus que du polar". Elle a des variantes, comme par exemple : "C'est un vrai roman", "il explose les codes du genre"...
Ce mini phénomène (que certains n'hésiteraient pas à qualifier de complot anti-polar) revient souvent chez des lecteurs, des critiques, des bibliothécaires, des auteurs. Des gens chez qui cela n'est pas étonnant, d'autres un peu plus.
Le dernier en date - celui qui m'a décidé à synthétiser ces petites réflexions - est Antoine Chainas, qui s'exprime non pas sur un polar, mais sur un auteur de SF :
R. C. Wilson.
Guéguerre de principes, diront certains, pinaillages, diront d'autres, coupage de cheveux en quatre. Peut-être. Encore faut-il être bien conscient que les mots ont un sens et que le leur enlever c'est aussi enlever du fond. Dans les romans, le fond a son importance, mais dans la méthodologie d'une analyse aussi. C'est de l'ordre de la théorisation, cela semblera universitaire (donc chiant) à beaucoup, mais... Les personnes - critiques, auteurs, bibliothécaires, lecteurs - qui vantent le genre (polar - mais ça fonctionne avec d'autres) pour dire qu'il a "gagné ses lettres de noblesse", ces personnes, donc, quand elles spécifient ensuite qu'un bon polar, dès lors qu'il est bien écrit, intelligent... c'est PLUS qu'un polar... elles vont à l'inverse de ce qu'elles disent au préalable (par flemme et par répétition du cliché critique ?). Si le polar est devenu noble, quel besoin de sortir du genre un roman policier dès lors qu'il est bon ? Le faire, ça revient à dire que les romans policiers sont merdiques : un bon polar
est un polar mort est autorisé à atteindre le statut supérieur de roman "tout court".
Antoine Chainas écrit : "La manière dont ils interagissent en milieu clos, avec leurs peurs, leurs doutes, leurs failles, confère à la narration une surprenante densité que bien des auteurs de littérature blanche seraient avisés d'étudier.
Mais Wilson est-il un écrivain de genre ?"
Wilson n'écrit pas de la merde - je ne l'ai pas lu mais je n'ai aucun mal à le croire (Emeric Cloche en parle dans plusieurs numéros de
L'Indic), là n'est pas la question - donc il n'écrit pas de la SF. Il quitte le genre, parce que lui, il sait écrire, construire une histoire, mettre du fond... ce que confirme Antoine Chainas avec une précision : "
l'alibi science-fictif paraît dérisoire au regard des enjeux narratifs globaux." Nous y sommes.
Le genre, ici la SF, n'a pas vraiment d'importance. Car : "c'est la faculté à
transcender le genre de prédilection qui domine et ouvre les portes à une fiction située au-delà des figures imposées." Le genre est donc enfermé dans des codes imposés. Ce qui est vrai. Les codes existent, ce qui n'empêche en rien de faire de la littérature. Il existe aussi un "carcan" pour le roman, l'oeuvre romanesque elle-même. Un bon auteur va donc au-delà des codes, nous sommes d'accord. Mais ce n'est pas parce qu'il les assimile, les utilise à sa façon, que le roman de genre qui réussit à ne pas être barbant, mal écrit... n'appartient plus au genre. C'est la mauvaise SF (ou le mauvais polar) qui n'est pas capable de dépasser les codes, les répétant à l'identique, sans saveur. Ce qui fait qu'on marche un peu sur la tête, en fait.
Chainas dit plus loin que Wilson écrit "avec une finesse et un style", d'une façon, rattachée au reste, qui laisse entendre : lui à l'inverse des autres. Donc, ces autres, qui écrivent de la SF, écrivent de mauvais romans (de genre) cela se confirme.
Salve finale : "Alors, si vous voulez lire de la S.F. qui n'en est pas (ou si peu)..."
Je n'ai peut-être pas bien compris, et alors tant mieux cela appellera des éclaircissements. Mais il y a des personnes qui ont réfléchi, souvent, longtemps, sur la question du genre, qui en ont ébauché la définition, montré l'évolution, expliqué l'existence. On dirait que non, à l'heure actuelle cela n'a plus lieu d'être. Halte au genre, c'est mauvais. C'est réducteur. Les auteurs ne veulent plus d'étiquettes (pour des raisons commerciales ? littéraires ?).
Et, par voie d'extension : le rock et le classique, ce n'est que de la
musique ; socialisme, ça ne veut rien dire c'est
parti politique ; surgelé et frais c'est de la
nourriture.
Voilà, je ne sais pas vous, moi c'est ça qui me file le
vertige.
Caroline de Benedetti