Hécate est l'histoire d'un jeune policier ébranlé par la vue d'un cadavre au point de devenir fou. Peut-être parce que le roman ne fait que 130 pages, le processus arrive rapidement et il est difficile d'y croire.
Il faut aussi passer l'obstacle d'une ponctuation avec usage intensif du point-virgule. Non pas que le point-virgule soit inutile, au contraire. Ici il ressemble, comme d'autres éléments, à un exercice de style. Et vas-y que je fais de l'effet pour dire une chose simple. "Le temps continue sa course folle. Le monde s'écoule tranquillement le long de ses synapses." "(...) si les faits sont toujours simples, ils n'en recèlent pas moins une zone d'ombre, un lieu caché, secret, un mythe, une interprétation, qui occulte cette part complexe que l'homme recherche toujours, malgré lui, une réalité sous la réalité, un monde souterrain, dantesque..."
Hécate joue sur les "peurs ancestrales" et autres sensations "viscérales". Si l'image du chien qui "rampe en silence et saigne le nourrisson, se retourne et mord la main du maître, attend patiemment la chute de l'homme pour mieux le dévorer, l'achever" ne vous paraît par saugrenue, il vous plaira peut-être.
Quant à la morale, elle questionne, il me semble, notre rapport au réel et à l'obscène. "Qui blesse ouvertement la pudeur par des représentations d'ordre sexuel ; indécent. Qui choque par son caractère scandaleux." (définition Larousse) Le cadavre de l'homme retrouvé nu dans son salon avec un godemiché est jugé obscène. Grotesque. Mais Anton, le jeune flic, a compris ce cadavre. Il a compris son histoire et sa souffrance. Dès lors qu'il comprend, il perd la raison, il atteint la vérité. Les questions soulevées par l'auteur ne manquent pas d'intérêt, mais la fatalité récurrente dans son propos (son nihilisme, dans La nuit) et la psychologie lourdingue le desservent surtout. Quel degré supérieur s'agit-il d'atteindre ? L'homme se posera toujours des questions ? Sans blague ! Que questionne cette histoire ? Notre rapport à la fiction ? La littérature est obscène ?
Anton représente l'être humain qui se pose des questions et qui, lorsqu'il parvient à la compréhension, quitte notre "théâtre de dupe". Comme si l'individu n'avait qu'une seule option, comme si l'être humain ne pouvait être assez fort pour questionner le sens, sans se dissocier des basses actions de la vie quotidienne. L'un, à l'exclusion de l'autre. On dirait un peu la fascination enfiévrée d'un adolescent pour le sens de la vie.
Où est passé l'auteur de Monstre ?
Frédéric Jaccaud, Hécate, Gallimard/Série Noire, 2014, 131 p., 9,90 €
Caroline de Benedetti