Un jour, un étranger débarque dans un bled et la vie ne sera plus comme avant pour nombre de ses habitants. Ni pour l'étranger. Sur cette base classique, Pierric Guittaut démarre bien. Une scène, 10 pages, Hugues le clerc de notaire est perdu sur une route de campagne par un soir de pluie. Prise dans les feux de sa voiture en panne, une femme (jeune femme, en fait, une ado de 17 ans) en robe légère laissant voir ses seins capiteux (premier signe).
Le roman du mâle ?
Accueilli par une agricultrice, son fils Sébastien, et Hippolyte le frère de son mari défunt, le clerc s'enivre de nouvelles sensations. Partie de chasse, cognac à la fin du repas et le cul de Virginie derrière la porte opaque de la douche (deuxième signe...). Toi mon coco, pas dur de savoir où tu vas finir.
Le mystère entamé dans les premières pages se précise : entre cette famille et celle des Martin, les voisins, il y a de nombreuses et vieilles rancunes. Histoire de terres, de femme, secret de famille ? L'adolescente aperçue sous la pluie s'avère être la fille Martin, une "fumelle en chaleur" comme sa mère. Les femmes de ce roman existent surtout par leur cul. La boulangère fait la pute. La femme du clerc le trompe avec son meilleur ami et le laisse malheureux ("Elle l'a trahi, il est cocu") mais vite consolé. L'adolescente aguiche en maillot de bain dans la cabine d'essayage... Le pauvre Hugues ne sait où donner de la tête, mais attention, il se rend bien compte qu'il est lâche ! C'est juste que ses hormones de trentenaire le travaillent... Il aura malgré tout le temps de résoudre le - vague - mystère de la haine entre les deux Martin et les Girard. Mystère dont on finit par se foutre totalement, comme du merdier dans lequel le clerc va se mettre.
"Il se souvient d'un vieux film américain horrible, ou des tarés congénitaux forçaient un grassouillet à faire la truie dans les bois avant de le sodomiser. Le clerc regarde autour de lui, en proie à une brève panique. Il se demande si c'était une bonne idée de se laisser entraîner ici. Un bizutage, des mecs qui deviennent très cons avec l'alcool et l'effet de groupe, il sait ce que c'est."
La fille de la pluie a un décor, des éléments de noirceur et de suspense prometteurs (la scène de chasse, les descriptions factuelles). Ils sont parasités par certaines histoires de cul qui n'amènent rien, et les pauvres considérations intérieures du clerc de notaire, personnage d'un pathétique sans doute voulu. L'héroïne véritable est dans le titre, la jeune Morgane, à la "liberté sauvage" et sensuelle comme un fantasme masculin.
J'ai lu les écrits du blog de Pierric Guittaut, son "manifeste" sur lequel il y aurait tant à dire, et son lien avec Marignac ; ce genre d'auteur qui réclame une écriture rapide, dure, sans verbiage. J'adhère, mais je la cherche ! Où est-elle ? Que les auteurs cessent, dans ces romans noirs, de nous livrer les atermoiements intérieurs de leurs personnages. Qu'ils nous les fassent sentir !
Pierric Guittaut,
La fille de la pluie, Série Noire, 2013, 270 p., 14,90 €
Caroline de Benedetti