Donald Westlake... même pas mort !

samedi 6 novembre 2010


Il faut un début à tout et je dois vous avouer que je viens de terminer mon premier Donald Westlake. J’avais essayé de rentrer dans l’univers de Dortmunder avec Que d’Os et malgré quelques bonnes poilades le bouquin me tomba des mains devant la répétition des scènes de cambriolages. Las il fallait que je persévère un peu et c'est avec Bonne conduite que je me suis décroché le pompon. Donald Westlake présente au travers de ses personnages rocambolesques des points de vue sur le monde et tout cela est finement amené et pas seulement au niveau des scènes cocasses. Après un chapitre 16 sur le rôle de la femme dans la société qui laisse les protagonistes masculins sur le cul, le chapitre 21 s’attaque au « libéralisme féodal »… et par les temps qui rampent (mais il se pourrait bien que cela change) je ne résiste pas à vous livrer ici un extrait de la chose, une discussion entre Frank Ritter PDG de multinationale et son fils qui ne pense qu’au ski :

« - Ce que tu dis là est passionnant, Papa ! s’écria-t-il.
Au-delà de son père, de l’autre côté de ce salon décoré avec un bon goût anonyme, une fenêtre lui montrait un ciel bleu pâle et quelques nuages épars. C’était la saison idéale pour le ski en Norvège. Oh les charmes d’Ostersund au printemps !
- C’est plus que passionnant, Garret, dit Ritter. C’est la ré-a-li-té. La vérité, c’est que l’horloge a remonté le temps de plusieurs siècles, et que nous entrons maintenant dans la nouvelle ère de la féodalité.
Garret cligna des yeux. La féodalité était une chose qui l’avait effleuré une ou deux fois au cours de ses études, sans laisser la moindre trace. D’un ton hésitant il demanda :
- Tu veux parler du roi Arthur et tout ça ? La Table ronde ?
Le rire de Ritter comportait toujours une menace.
- Je ne parle pas d’un mythe, dit-il. Je parle de la réalité. La féodalité est un système fondé non sur la citoyenneté nationale mais sur des loyautés et des contacts entre individus. Le pouvoir n’appartient pas à l’État mais à ceux qui possèdent des biens, et toute allégeance va à qui détient le pouvoir. C’est très logique.
- Sans doute, dit Garret en clignant lentement des yeux.
Ritter poursuivit :
- On peut considérer la situation comme suis : je suis le baron. Templemar International, la Société Margrave et la Banque d’Avalon sont les châteaux forts que j’ai bâtis en différents endroits de mon territoire à des fins de défense et de développement. Les filiales que nous avons achetées ou avec lesquelles nous avons fusionné sont inféodées non pas à l’Amérique mais à Margrave. Nous récompensons la loyauté et punissons la félonie. Quand il le faut, nous pouvons protéger nos vassaux les plus importants contre les lois de l’État, tout comme, dans le temps, les barons protégeaient leurs grands feudataires contre les lois de l’Église catholique. Les travailleurs sont liés à nous par la participation aux bénéfices et le système de retraite. Je ne m’attends pas plus à ce que les gouvernements nationaux disparaissent que les familles royales britanniques et hollandaises n’ont disparu, mais ils deviendront des objets d’apparat de plus en plus insignifiants. On verra de plus en plus des acteurs jouer les rôles d’hommes politiques et de chefs d’État, alors que le vrai travail se fera ailleurs.
- Chez nous, tu veux dire, fit Garret dont le visage bouffi était tout animé.
Il songeait à acheter une nouvelle paire de skis en Scandinavie.
- En fait et en fin de compte, dit Ritter, c’est un bienfait pour l’avancement de l’humanité. Évidemment, des œufs seront cassés dans la confection de l’omelette.
- Ce sont des choses qui arrivent, fit Garret d’un ton compréhensif.
- Oui, dit Ritter qui n’aimait pas qu’on interrompe le fil de ses pensées. Mais, une fois que l’omelette sera confectionnée, la Terre connaîtra plus de bonheur, de prospérité et de paix. L’exemple de l’industrie japonaise est là pour nous montrer que les ouvriers dont la loyauté va en priorité à leur employeur, plutôt qu’à leur citoyenneté ou à leur syndicat, sont plus contents, plus productifs, moins sujets à la maladie et vivent plus longtemps.
Garret fronça les sourcils en se souvenant vaguement de quelque chose qu’il avait lu dans le journal, à bord d’un avion.
- Est-ce qu’ils ne se suicident pas beaucoup ? demanda-t-il.
- Pas du tout. Seulement les plus jeunes en entrant dans la vie active, mais c’est un processus naturel de triage. Et puis, de toute façon, les Japonais aiment se suicider. Ça fait partie de leur culture. »

Notez au passage que dans L’Indic n°7 consacré aux braquages, Julien Vedrenne nous parle de Dortmunder et de sa bande. Bonne jubilation à vous...

Emeric Cloche.

2 commentaires:

Pierre FAVEROLLE a dit…

Salut, ton premier Westlake ? Quelle chance ! Il t'en reste plein à découvrir. Je te conseille Aztèques dansants, Mort de trouille et Pierre qui roule.

Emeric Cloche a dit…

Yep, "Aztèques dansants" est sur ma liste. J'avoue ressentir une certaine jubilation à retrouver très prochainement cette bande de bras cassés.

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