Microfictions, le polar sur une radio parisienne, par un libraire et des chroniqueurs parisiens

vendredi 15 juillet 2011


Ce n’est pas la première émission que j’entends sur le polar. Celle-ci (Microfictions, sur France Inter) change du plateau télé avec Chattam-Thilliez-Loevenbruck, mais ne déroge pas pour autant aux platitudes, qui commencent dès l’introduction : la tendance de la saison 2011 en polar, c’est la mondialisation : on voyage au Japon, au Tibet, en Amérique du Sud. Sinon, il n’y a pas de nouveautés mais la continuité, avec des auteurs qu’on retrouve. Tant pis pour Paris la nuit, le 1er roman de Jérémie Guez chez La Tengo, tant pis pour Moi comme les chiens, le 1er roman de Sophie di Ricci chez Moisson Rouge, ou encore Bois, le 1er roman de Fred Gevart dans la toute nouvelle maison d’édition Ecorce (qui a aussi publié Retour à la nuit, le très bon roman d’Eric Maneval). Tant pis pour les auteurs qui mélangent les genres, tant pis pour Thierry di Rollo (Préparer l'enfer - Gallimard) ou Zone Est de Marin Ledun, qui a livré aussi cette année un roman noir au sujet qui aurait mérité un petit coup de projecteur (Les visages écrasés).

Puis, vient le deuxième pavé avec l’attaque contre Fred Vargas. Oui, elle serait comme un problème pour le polar français car « la présence de Fred Vargas empêche la vraie naissance d’autres auteurs ». « On achète ça comme des croissants » dit le libraire Nicolas Le Fort. Elle prend la place pour la nouvelle génération : DOA, Marcus Malte, Antoine Chainas, Joseph Incardona… Seul Hubert Artus temporise et développe des arguments plus solides, précisant que Vargas n’empêche rien et que son problème serait plutôt de ne pas réussir à renouveler ses histoires. Pas un ne se demande quels sont les romans qui prennent véritablement la place, ni pourquoi, ni comment ce phénomène existe. Pensez-bien…

Christine Ferniot (L’Express, Lire), Gérard Meudal (Le Monde des livres), Marc Fernandez (magbook Alibi), Nicolas Lefort (librairie Audé à Paris) et Hubert Artus (Rue89) vont donc proposer à l’auditeur une sélection de 16 polars, dans laquelle ils vont très logiquement défendre la nouvelle génération de polar français en y faisant généreusement figurer… 4 auteurs (dont un mort, Sébastien Japrisot, réédité en Quarto Gallimard) Barouk Salamé étant rajouté par le présentateur de l’émission. Si l’on accepte le fait que ces chroniqueurs délivrent uniquement de la nouveauté, sans éprouver le besoin d’extirper de leurs mémoire et connaissance des romans qui ont dépassé la date de péremption de la présentation en librairie, on peut quand même grincer des dents face à la grande conformité des titres retenus parmi ces nouveautés. Bien sûr, toute sélection suppose des choix, difficile de parler de tous les romans qui sont publiés, mais ces choix en disent long. Ce qui ne signifie pas que ces titres sont tous mauvais.

Rien à dire sur James Lee Burke (Rivages), Elvin Post (Seuil) et les nouveautés comme Attica Locke (Gallimard), John Burdett (Presses de la cité) ou Greg O’Lear (Gallmeister). S’il y a un roman que j’ai envie de découvrir, c’est Fin du monde à Breslau de Marek Krajewski (Rivages). Quant à Kem Nunn (Sonatine), Carlos Salem (Actes Sud) et Barouk Salamé (Rivages), j’ai plutôt apprécié leurs derniers ouvrages.

Je ne partage pas l’enthousiasme de Hubert Artus pour qui Les Harmoniques de Marcus Malte (Gallimard) est « sans pathos », et je me demande s'il ne se trompe pas quand il dit de cette histoire que les enquêteurs vont « retourner en ex-Yougoslavie, on va les retrouver à Vukovar »… Du Savages de Don Winslow (Le Masque) il explique que c’est le meilleur roman jamais édité sur le trafic de drogue. J’adore ce genre d’affirmation globale et définitive, ça me donne tout de suite envie de lui demander s’il connaît Daniel Chavarria.

C’est cocasse de choisir Dominique Sylvain avec Guerre Sale (Viviane Hamy), je trouve que sa façon de raconter les histoires fait penser à Fred Vargas, l’aspect onirique en moins ; et Le Paradoxe du cerf-volant de Philippe Georget (Jigal) en étant à deux doigts de traiter cette maison d’édition de régionale tendance pastis.

Ce qui est rageant quand on aime la bonne littérature, et la littérature policière en particulier, c’est d’entendre en parler de la sorte sur une radio d’importance, par des journalistes qui ont la caution médiatique et orientent donc l’image du polar aux yeux du grand public.

Ça devient énervant quand il s’agit de se voir encore servir les « buzz » qui n’ont pas besoin de plus de pub, c’est à dire l’auteur Anonyme (Sonatine), avec une histoire dont le héros est décrit par Marc Fernandez comme « le plus grand tueur en série de l’histoire de la littérature noire… », roman qui repose sur un suspense palpitant : est-ce le prince Charles ou Tarantino qui l’a écrit ? L’autre buzz venant encore de chez Sonatine (ça buzze beaucoup chez Sonatine, très bien vendue par son agence de presse, Sofab, qui s’occupe également du magbook Alibi) avec SJ Watson et Avant d’aller dormir, dont Nicolas Lefort précise que c’est un « thriller pop corn pour l’été », « typiquement féminin ». On est contents après ça que le polar ait gagné ses lettres de noblesse, ce genre de propos ne va pas tarder à les lui faire perdre dare dare.

Caroline de Benedetti

Maelström de Stéphane Marchand

mercredi 13 juillet 2011


Un tueur qui a imaginé des crimes très tordus.

Un écrivain raté et amnésique.

Un agent du FBI homosexuel.

Une médecin légiste sortie d’un magazine.


Ces trois derniers sont à la poursuite du tueur, seuls, parce que celui-ci les a menacés, sinon, de faire exploser un immeuble (donc, ils obéissent. C’est simple, non ? Essayez, demain.)

Des victimes enfermées dans une salle pour jouer leur sort au poker.

Des cadavres avec un chiffre marqué au fer rouge dans le dos et des indices introduits dans leur corps…

Faites signe quand vous trouvez que la liste de stéréotypes est trop lourde…

Une prostituée mignonne et gentille.

Un médecin qui pratique l’hypnose pour découvrir les secrets du passé de l’écrivain.

L’agent du FBI qui s’appelle Dexter.

Des phrases comme ça à la pelle : « Dexter éprouva la sensation désagréable que les flammes qui ravageaient la Californie n’étaient autres que celle de l’enfer dont les portes s’ouvraient sur leur destin. »

Un tueur qui se surnomme Maëstro mais que les protagonistes appellent aussi volontiers le « Monstre ».

Un roman qui explose les scores d’utilisation de l’italique, avec une moyenne d’un mot par page (si quelqu’un a compris pourquoi…). Un exemple ? Pensez à tous ces personnages, qui sont américains, vivent à San Francisco. La pute s’appelle Katsumi, la légiste Franny. Cette dernière, pas trop perturbée d’être forcée à autopsier des cadavres (on comprendra pourquoi plus tard…), invite Katsumi, et ça se passe comme ça :

« - This is the end ! s’exclama-t-elle. Il est l’heure d’aller prendre un petit déjeuner, ma jolie. Et c’est moi qui t’invite. » (notez deux italiques en une phrase, et une phrase en anglais de la part de personnages sensés parler cette langue…)


Résultat : une histoire chiante, limite ridicule, avec un retournement final complètement abracadabrant, qui ne fait pas trembler et ne questionne rien du tout.


Et je me demande en terminant ce roman, un parmi les dizaines de thrillers qui sortent chaque année, d’où vient cette indulgence envers de telles médiocrités, pour que des lecteurs s’enfilent ce type de livre à longueur de temps, le goût lessivé par un vocabulaire limité et des trames toujours identiques, jouant sur l’abus de sentiments. Ces ouvrages, écrits par des individus certainement très aimables, drôles, cultivés, lus par d’autres individus eux aussi plein d’humour, aimant les chats, ouvrir un blog et se retrouver entre amis, mais totalement étrangers à une vision d’ensemble (la place prise par cet ouvrage vaut-elle le papier utilisé, le travail d’une attachée de presse, le manuscrit qui sera refusé à un autre auteur ?...), à un sens critique poussé, allant jusqu’à le rejeter car rappelez-vous l’adage : « On dit pas c’est pas bon on dit j’aime pas. » Il semble ainsi inévitable que l’envie de se détendre, de rompre avec les problèmes quotidiens, passe par le gavage d’histoires formatées, comme s’il était impossible de s'évader avec des histoires bien écrites et bien pensées. Le plus profond mystère demeure quant à ce phénomène.


Voici le roman, refait à l’endroit (GROS SPOILER - REVELATIONS À VENIR) :


Ils sont jeunes et étudiants à l’Université. Il y a Harold et ses amis friqués et un peu cons, et puis Lil, la fille dont tous sont amoureux, et puis aussi Matthew, l’intello dont Harold est jaloux. Harold aime Lil, qui l’aime aussi mais est amie avec Matthew. Harold et Lil et ses potes partent camper, feu de camp, alcool et tralala… Harold s’éloigne dans les bois, entend des cris, revient sur ses pas et trouve ses amis en train de brûler Matthew, le corps de Lil violée et tabassée étendu sous un arbre. Matthew accusé et condamné par la justice. Lil dans le coma, puis morte. Harold sombre dans la drogue et l’amnésie, ses petits copains poursuivent leur route dorée. Fin du drame.

Des années plus tard, arrrive le tueur qui sème des cadavres et oblige Harold, Dexter le flic du FBI et Franny la légiste à coopérer. Attention : le tueur est en fait Matthew, qui après internement psychiatrique a été libéré et a disparu dans la nature. Le flic du FBI est le demi-frère du tueur, leur père ayant été forcé de bidouiller toutes les preuves pour accuser Matthew (son fils, donc). Il a quand même sauvé Lil qui s’était réveillée du coma, Lil qui en plus était enceinte… Lil envoyée en Suisse, retapée par la chirurgie esthétique et devenue… la médecin légiste !! Si ! Si vous voulez mieux comprendre et tout savoir, lisez le roman…


Stéphane Marchand, Maëlstrom, Flammarion, 2011, 19,90 euros, 344 p.


Caroline de Benedetti

Liste de non-lecture de l'été

lundi 11 juillet 2011


Vous avez lu le dossier Lire ? Les 10 polars de l'année par L'Express ? Les 10 polars de l'été par Le Parisien ? Nous non plus. Et plutôt que de vous refiler des tuyaux compilables à l'infini, voici quelques romans pour ne pas encombrer vos valises. Quitte à dépenser, achetez plutôt une délicieuse glace à l'italienne.

Trio perdant

Chasseurs de têtes de Jo Nesbo (folio policier)
Entendons-nous bien, ce roman est haletant, efficace et mené de main de maître. Il est même, jusqu'à ce que le chasseur soit poursuivi par la tête qu'il a lui-même chassée, largement intéressant, agrémenté des réflexions et critiques sociétales du personnage. J'ai réussi à croire que le scénario était subtilement conçu. Je voyais déjà le trafiquant d'art pris au piège. Il se produit tout autre chose, qui se nomme le grand guignol, aux environs de la moitié du roman. Le gentil candidat à l'embauche devient un caïd militaire tueur absolu, et notre impitoyable chasseur se révèle à lui-même, dans une scène il est vrai d'anthologie qui le voit se plonger dans une fosse à merde pour rendre indétectacles les micro-particules déposées sournoisement dans ses cheveux (technologie moderne !). Too much.

L'armée furieuse de Fred Vargas (Viviane Hamy)
C'est un peu exagéré de vous alléger de ce roman-là, mais enfin, si vous avez lu Un lieu incertain, aimé son ambiance étrange et campagnarde quand elle n'est pas londonienne, il n'est pas indispensable de s'attaquer à L'armée furieuse, malgré ses qualités. L'affaire est toujours parfaitement racontée, tirée par les cheveux pour rendre l'intrigue indémêlable, avec la dose de fantaisie, d'humour et de poésie propres à Fred Vargas et ses personnages. Mais le goût de déjà lu est bien trop tenace.

Moonlight Mile de Dennis Lehane (Rivages/Noir)
Kenzie vire réactionnaire ? Non, quand même pas. Il vieillit, constate que la jeunesse le dépasse, se plaint de ses problèmes de mutuelle... Cet opus, qui voit ce bon vieux Pat et la pétulante Angela mariés avec un enfant, marque sérieusement le pas. Dennis Lehane n'est pas un manche. Comme avec les deux auteurs précédents la maîtrise est là, dose d'humour, pantoufles confortables en la personne des personnages récurrents que le lecteur retrouve ici, égaux à eux-mêmes. Bubba est toujours dur au coeur tendre, et notre héros toujours pris par ses questionnements existentiels. Angie apporte toujours le contrepoids. Toujours, oui, donc de façon assez peu surprenante. Bien sûr qu'on est contents de les voir aux prises avec des problèmes de tous les jours, ces deux-là, mais enfin franchement : si ce roman n'était pas écrit par Dennis Lehane, quelqu'un s'en serait soucié ?

Parfois, il faut savoir bouder son plaisir.

Caroline de Benedetti.

En passant par Bruxelles

lundi 4 juillet 2011


En faisant du tourisme il est possible de conserver un axe polar. Non, non, ce n'est pas une obsession. Mais quand même, le premier jour en arrivant à Bruxelles - après avoir posé les sacs dans une chambre près du commissariat (ici les voitures de police sonnent à l'américaine), - ni frites ni gaufres de Liège mais un saut dans le quartier des casernes, tout en briques rouge. C'est là que se trouve le musée de la Police. Immanquable, non ?


Il faut savoir que le musée se visite sur réservation téléphonique. Sinon, vous êtes face à une porte close et un interphone. Heureusement, la responsable nous a accueillis avec un gros accent et une grande simplicité : "Allez-y !"

Après un rapide tour dans les deux pièces dédiées aux costumes et véhicules, c'est du côté des objets que nous avons le plus écarquillé les yeux... Une boîte avec de toutes petites fiches préfigurant l'ancêtre du fichier informatique, des contrefaçons, les moulages en plâtre des crânes des condamnés à mort (le criminel a-t-il le front bombé ou plutôt plat, hein ?), les analyses d'impacts de balles...


... des armes en tout genre...



Tout ça plante une ambiance plutôt glauque, le summum est atteint avec cette boîte dans laquelle une femme a été séquestrée pendant 4 jours. Le fait divers date de 1995, on en aperçoit les coupures de journaux sur le mur.


Une autre de nos visites nous a conduits vers l'énorme Palais de Justice, d'où nous vous ramenons cette photo exclusive, pour laquelle nous sommes descendus dans les entrailles de la bête. C'est une méthode de classement des dossiers que l'on pourrait qualifier de free style...


La suite du séjour a bien heureusement permis de se changer les idées, les plaisirs du ventre (voire du foie...) n'étant pas les moindres, tout comme les rencontres, dont nous aurons bien l'occasion de reparler plus tard. En tout cas Bruxelles, on y retournera.


 
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