Hécate, Frédéric Jaccaud

mercredi 23 juillet 2014



Hécate est l'histoire d'un jeune policier ébranlé par la vue d'un cadavre au point de devenir fou. Peut-être parce que le roman ne fait que 130 pages, le processus arrive rapidement et il est difficile d'y croire.

Il faut aussi passer l'obstacle d'une ponctuation avec usage intensif du point-virgule. Non pas que le point-virgule soit inutile, au contraire. Ici il ressemble, comme d'autres éléments, à un exercice de style. Et vas-y que je fais de l'effet pour dire une chose simple. "Le temps continue sa course folle. Le monde s'écoule tranquillement le long de ses synapses." "(...) si les faits sont toujours simples, ils n'en recèlent pas moins une zone d'ombre, un lieu caché, secret, un mythe, une interprétation, qui occulte cette part complexe que l'homme recherche toujours, malgré lui, une réalité sous la réalité, un monde souterrain, dantesque..." 

Hécate joue sur les "peurs ancestrales" et autres sensations "viscérales". Si l'image du chien qui "rampe en silence et saigne le nourrisson, se retourne et mord la main du maître, attend patiemment la chute de l'homme pour mieux le dévorer, l'achever" ne vous paraît par saugrenue, il vous plaira peut-être.


(William Blake - Hécate)

Quant à la morale, elle questionne, il me semble, notre rapport au réel et à l'obscène. "Qui blesse ouvertement la pudeur par des représentations d'ordre sexuel ; indécent. Qui choque par son caractère scandaleux." (définition Larousse) Le cadavre de l'homme retrouvé nu dans son salon avec un godemiché est jugé obscène. Grotesque. Mais Anton, le jeune flic, a compris ce cadavre. Il a compris son histoire et sa souffrance. Dès lors qu'il comprend, il perd la raison, il atteint la vérité. Les questions soulevées par l'auteur ne manquent pas d'intérêt, mais la fatalité récurrente dans son propos (son nihilisme, dans La nuit) et la psychologie lourdingue le desservent surtout. Quel degré supérieur s'agit-il d'atteindre ? L'homme se posera toujours des questions ? Sans blague ! Que questionne cette histoire ? Notre rapport à la fiction ? La littérature est obscène ? 

Anton représente l'être humain qui se pose des questions et qui, lorsqu'il parvient à la compréhension, quitte notre "théâtre de dupe". Comme si l'individu n'avait qu'une seule option, comme si l'être humain ne pouvait être assez fort pour questionner le sens, sans se dissocier des basses actions de la vie quotidienne. L'un, à l'exclusion de l'autre. On dirait un peu la fascination enfiévrée d'un adolescent pour le sens de la vie.

Où est passé l'auteur de Monstre ?

Frédéric Jaccaud, Hécate, Gallimard/Série Noire, 2014, 131 p., 9,90 €

Caroline de Benedetti

Aux animaux la guerre, Nicolas Mathieu

vendredi 18 juillet 2014


Dans les Vosges, pas loin de Nancy, plusieurs personnages se démènent avec leur boulot, leurs amours,  leurs manques, bref, la vie. L'ambiance d'une petite ville est là, comme si vous étiez assis sous l'abri bus, à regarder tout ça défiler. À force de les voir passer, Rita l'inspectrice du travail, Bruce le sanguin, Martel le syndicaliste hasardeux, Pierre l'ancien d'Algérie, Jordan l'ado amoureux... à force, vous distinguez les accointances, les motivations, le chemin.

Nicolas Mathieu réussit son roman à tous les points de vue. La narration est habile, alternant les personnages et les sauts dans le temps. Il sollicite l'attention et l'intelligence de son lecteur. Son écriture porte ce qu'il faut d'originalité pour ajouter une touche d'âme à ses personnages. Mention spéciale à la vision des adolescents entre eux et du jeune mal dans sa peau.

Le drame monte, il touche par sa simplicité, sa proximité, il raconte plusieurs histoires et au final la même misère, celle d'une vie à mener avec le manque de fric, la fermeture d'une usine, la farce qu'on nous sert avec le reclassement et la productivité, la difficulté de se construire avec ces contraintes. Jusqu'au bout l'auteur tient son histoire, laissant l'imagination du lecteur faire le chemin qu'il ne livre pas clé en mains.

Nicolas Mathieu est à découvrir en interview dans L'Indic n°19.

Nicolas Mathieu, Aux animaux la guerre, Actes Noirs, 2014, 22,50 €, 368 p.

Jazz et Polar

mercredi 16 juillet 2014

Emeric Cloche, ancien disquaire, travaille depuis de nombreuses années sur les liens entre musique et littérature. Il en parle volontiers, comme ici lors d'une conférence à la médiathèque de Segré dans le cadre du "Saveurs Jazz Festival".


Article Ouest France 16 Juillet 2014

Les rêves de guerre, François Médéline

mardi 15 juillet 2014



"Après la guerre, parfois la guerre continue." Cette phrase tirée du roman d’Hervé Le Corre, Après la guerre, illustre bien le deuxième roman de François Médéline.

Le passé fonde le présent. Cette évidence n’a pas les mêmes conséquences pour tout le monde. Michel Molina a été un enfant confronté à la mort de son père, un adolescent amoureux et tueur ; il est devenu flic.


L'histoire de la famille Molina est marquée par la guerre, celle qui, de l’Espagne à la France, a conduit un père au suicide et laissé un enfant avec plein de questions. Il faut parfois attendre d'être adulte pour comprendre ce qui n’a pas été dit. L’enquête menée par Michel Molina le ramène sur les bords du lac Léman, sur le chemin de l’enfance.

Les rêves de guerre est raconté à la première personne. Pour autant, Michel Molina ne livre pas de pensées intimes, ce qui évite l'écueil du pathos. Au contraire, tout est dans l'action. Il "entre", il "patiente", il "déchire", il "se lève", il "arrache"... Le choix d'une écriture behavioriste, sèche, parfois répétitive, rend la compréhension du personnage moins immédiate mais confère une grande force au roman. Et quand Michel Molina est confronté aux souvenirs, le récit écrit au passé devient au présent. L'important, c'est l'enfance. « Je l’ai remise en payant, c’était madame Dubusset, la vieille à qui je pique des réglisses, des Pif Gadget, des vignettes Panini, des magazines porno, son mari me chope la main dans le sac, il est contremaître en Suisse. »

Et puis il y les personnages autour de Molina. Luis dit "le vieux", son collègue qui accompagne Molina, est une formidable ombre dont l'auteur nous laisse deviner les fêlures ; peut-être la plus belle trouvaille de ce roman. Avec eux, la sorcière dans sa maison, l'indienne chamanique, le frère trafiquant international. Ils forment une tonalité différente de l'histoire, envolées spectaculaires balancées au milieu de réminiscences cinématographiques (la scène du viol dans la voiture). Les autres sont des figurants figés dans une description parlante. La qualité se loge dans les détails. « Il a retenu son sourire, ça lui a fait rentrer les lèvres à l’intérieur de la bouche et gonfler les joues. » « Un gamin trempait une brioche au sucre dans un bol de chocolat chaud, hissé en haut d’un tabouret au comptoir. Je lui ai dit bonjour, il m’a scruté en aspirant le liquide par la brioche, s’est gratté le ventre sous son pull tricolore. »

François Médéline continue d'expérimenter les sonorités de l'écriture, dans des passages plus ou moins réussis, dont on peut d'ailleurs questionner l'utilité. Les rêves de guerre est un roman psychologique, axé sur l'individu, très différent de La politique du tumulte. Plus épuré, il raconte l'obsession, la littérature, la mémoire et l'oubli. Il est porté par deux âmes fracassées, l'un qui se tape des putes et l'autre qui vide des bouteilles. 

François Médéline, Les rêves de guerre, La manufacture de livres, 2014. 20,90 €, 327 p.

Caroline de Benedetti

The Rover (David Michôd, 2014)

mardi 8 juillet 2014

Les références et les clichés pullulent pour qualifier le nouveau film de David Michôd : post-apocalyptique, crépusculaire, road movie, Des souris et des hommes... Le mieux est encore d'aller le voir pour se faire son idée. Si The Rover souffre de quelques longueurs, sa narration en non-dits et sa réalisation en font un film d'anticipation marquant, auquel on pense longtemps après l'avoir vu.

Contexte
"10 ans après la chute" : voilà la seule indication donnée au début du film pour expliquer la terre de violence et de misère que le spectateur va voir et percevoir à l'écran : humains accrochés sur des croix ou des poteaux électriques au bord de la route, maisons abandonnées, individus armés, trains de marchandises aux inscriptions chinoises gardés par des hommes en armes propres sur eux, ambiance poisseuse et désespérée.



Personnages
Dans des paysages évoquant une splendeur déchue, un homme très énervé par le vol de sa voiture part à la poursuite des voleurs, qui se trouvent être des braqueurs. Ce personnage énigmatique, ancien agriculteur, blessé, visiblement traumatisé, vient d'on ne sait où. Sur le chemin, il va rencontrer le jeune Ray, attardé et naïf. Au fur et à mesure de leur avancée leur relation évolue et les positions changent. Michôd filme leurs émotions au plus près et la liberté laissée au spectateur d'imaginer leur histoire est appréciable. On peut reprocher à Robert Pattinson ou Guy Pearce d'appuyer parfois un peu trop leurs mimiques, il reste que leur jeu donne une grande puissance aux personnages. Pas question de héros sympathique ou glorieux, Ray et Eric vivent dans un monde où les comportements sont poussés à l'extrême. Comment s'y comporter ? À quoi se rattacher ?


Caroline de Benedetti & Emeric Cloche.

 
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