« Même le vertige de la chair, hypnose d’autrefois, avait perdu sa puissance de talisman sur leurs corps, désormais plus soucieux d’économie que d’accomplissement. La vie n’était même plus chienne, elle était charogne. »
Ce qui sous d’autres plumes, pourrait donner quelque chose du genre : « Ils essayaient de rallumer la flamme de leur désir. » Et après, qui va me dire que le style c’est des foutaises ? J'avais déjà eu ici une explication avec le monsieur sur le sujet.
Avec ce roman Thierry Marignac s’inscrit sur le chemin du personnage récurrent. On le devinait déjà dans À quai, sous le nom de l’Occidental. Il revenait sous le nom de Dessaignes dans Renegade Boxing Club, à New York, et il se retrouve ici à Sébastopol, attendant après les gémissements d’une femme, avant de se retrouver à Kiev pour solder une vieille dette.
Les collines de Crimée, les rues de Kiev... Les « pays de l’Est », comme on dit de cette chose inconnue et lointaine. Il est rare qu’un roman, qu’un polar, nous trimballe par là-bas. On pourrait donc se dire que cet exotisme fait l’attrait du roman de Marignac. Sauf que. Déjà à New-York son histoire avait de la force. La qualité vient d’ailleurs. Du style déjà mentionné, bien sûr, et de cette façon de raconter les histoires. Quelque chose de rugueux, de dense et de tendu. L’auteur ne cède pas à la facilité, ne donne pas beaucoup de prises extrêmes, qu’elles soient de l’ordre du rebondissement, du glauque ou du sentimentalisme. C’est sobre et retenu, bien des choses se passent entre les lignes.
Le roman noir, dit-on, est le roman du constat (autre tarte à la crème). Il regarde sous le tapis. Milieu Hostile est un excellent roman noir. Outre le contexte géopolitique avec Russie et Ukraine, l’enquête menée par Dessaignes pour l’Alliance (regroupement d’ONG) montre les connexions entre les laboratoires pharmaceutiques, les ONG et les organes de décisions gouvernementaux, ceux qui distribuent les mannes des subventions. Les intervenants sont nombreux, le fil n’est pas toujours facile à suivre. Mais à l’époque de la grippe aviaire et du médiator, plus personne ne doutera de la crédibilité des magouilles mises en oeuvre.
Ces magouilles mettent face à face 4 vieux potes et c'est eux qui font la chair de l'histoire. Pierre Henri et Jean-Charles les deux Sang Bleu, anciens du renseignement militaire ; et les deux roturiers Loutrel et Dessaignes, tout ce petit monde solde ses comptes vieux d’une jeunesse où les rapports de force étaient inversés. Les regrets et les choix d'adultes sont aussi incertains que lorsqu’on a vingt ans. Ici peu de convictions ou d’idéologie, plutôt l’appât du gain, l’obsession pour une femme, la revanche sociale, la quête de rédemption... Une matière sans doute proche de l’auteur - on regardera par exemple sur son blog Antifixion la photo des Blancs Becs, les 3 mousquetaires - mais qu’importe.
Le plaisir est dans les détails, les êtres et les enjeux qui les lient. Là est la matière. Dessaignes est un personnage errant qui prend forme, Marignac son conteur, et nous attendons la suite du chemin.
Thierry Marignac, Milieu hostile, 2011, Baleine
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire