Franck Thilliez, Atomka

mercredi 26 novembre 2014


Parmi les ouvrages de Franck Thilliez, on distingue deux pans. Ses romans hors personnages récurrents : Puzzle, Vertige, Fractures, L'anneau de Moëbius et La forêt des ombres, où le suspense fait parfois mouche. De l'autre côté, la série consacrée à Franck Sharko et Lucie Hennebelle, duo de flics placé face à des enquêtes hors normes. Ces affaires incroyables sur lesquelles ils tombent, il y a peu de chance que cela arrive dans la vie d'un flic. Si le concentré d'horreurs improbables relève de la liberté de la fiction, celle-ci chez Thilliez repose d'un autre côté sur le fameux "réalisme" des procédures policières et autres scènes de crimes. Un curieux mélange, rien de rédhibitoire ; c'est plutôt du côté de l'écriture et du scénario que le bât blesse.

Une partie de la réputation de Franck Thilliez repose sur sa "formation scientifique" (ingénieur en informatique) et le côté "documenté" de ses histoires, que relèvent souvent ses lecteurs ici ou , quand ce ne sont pas des journalistes. En ce qui concerne Atomka, le côté scientifique repose sur deux sujets : le nucléaire, et l'animation suspendue. L'histoire s'ouvre sur un scientifique s'échappant de Tchernobyl avec un carnet secret en mains, et se prolonge avec un journaliste retrouvé dans un congélateur, sa collègue journaliste disparue liée à un gamin errant malade et tatoué, et des femmes retrouvées dans un lac gelé, certaines en mourant, d'autres en réchappant. Deux tueurs en série arrivent là-dedans, l'un lié à cette histoire d'atome et d'hypothermie, l'autre traquant le flic Sharko. Outre que tout ça est un peu lourd, résumé en 4 lignes comme étalé sur presque 600 pages, l'issue ne surprend guère pour peu qu'on réfléchisse 10 secondes. Quant à la vie personnelle de Sharko et Hennebelle, elle n'apporte pas grand chose à part des pages en plus, sauf si vous êtes passionnés par leur volonté d'avoir un enfant (Dennis Lehane s'en était aussi mal sorti avec ses héros mis en couple dans Moonlight Mile).

Le sujet "atome" consiste à nous apprendre que depuis l'explosion à Tchernobyl la zone interdite l'est toujours, que des gens meurent de longues et douloureuses maladies, entourés de sols et cultures pollués. Peut-on vraiment voir une information scientifique développée là-dedans ? Reste la partie "animation suspendue", expliquée à Hennebelle par un professeur en chirurgie cardio-vasculaire qui cite l'exemple d'un japonais, "Mitsukata Uchikoshi". L'homme parti en randonnée de montagne serait resté congelé pendant 24 jours. 24 jours sans manger, et sans boire. Quelques recherches sur internet mènent vers des sites bien douteux qui évoquent cette information spectaculaire (Uchikoshi a été surnommé Hibernatus). Impossible de trouver un développement critique ou scientifique sur ce cas, que certains identifient comme un hoax. Sans compter la petite erreur sur le nom du japonais, qui est en fait Mitsutaka.

Certains romans de Franck Thilliez embarquent le lecteur dans l'énigme et l'angoisse (à ce titre, Vertige comporte de bonnes scènes), et remplissent leur rôle de page turner. Sur ce terrain de pur divertissement, Atomka se traîne lourdement dans une surenchère à tous les étages, qui se solde par un vocabulaire à faire pâlir un débutant, dans lequel "monstre", "démon" et "enfer" reviennent bien trop souvent, avec cette idée de prédestination toujours présente et contenue dans des phrases comme : "Un pur produit du mal / un individu né pour nuire / Un pur psychopathe, un être né pour détruire / De véritables monstres, des inhumains." Face à ces propos, on pensera à Donato Carrisi qui, sur les mêmes terres, apporte au moins un contrepoint : "Nous les appelons monstres parce que nous les sentons loin de nous, et donc nous les voulons différents (...) au contraire, ils nous ressemblent en tout et pour tout. Mais nous préférons balayer l'idée qu'un de nos semblables est capable de telles atrocités."

 De ce qui aurait pu être un questionnement sur la vie éternelle, il ne reste pas grand chose.

Franck Thilliez, Atomka, Fleuve Noir, 2012, 21,90 €, 596 p.

Caroline de Benedetti

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