Michaël Mention, Jeudi noir

mardi 2 décembre 2014


Face à un roman basé sur la réécriture d'un fait réel ayant potentiellement touché le plus grand nombre, il y a deux types de lecteurs : celui qui a vécu cet événement et prend plaisir à en revivre les sensations et retrouver les protagonistes, ou celui qui le découvre. (Partons du principe que le 3e type, celui qui s'en fiche, ne lira pas le roman.)

Dans le cas d'une demi-finale de coupe du monde, ne pas avoir vu le match donne un atout indéniable : le suspense est assuré. Si en plus, enfant, le lecteur a eu quelques émotions en regardant Olive et Tom, parions que ce Jeudi noir est pour lui. De dribbles en buts et de paranoïa en coucheries, le partie de foot peut tout avoir d'un épisode de Dallas. Le paroxysme est atteint avec le délire qui s'empare du narrateur, transformant sa vision du match en un concentré haineux de résurgence anti-germanique écho de la deuxième guerre mondiale. Les joueurs ont ils été à ce point saisis par ce sentiment ? Difficile à dire, même si l'auteur a semble-t-il posé son histoire après avoir visionné et lu de nombreux documents et interviews. Reste que cela donne une autre ampleur au match, comme le basculement de la narration côté allemand, bonne trouvaille assimilant le narrateur à un individu petit à petit gagné par la schizophrénie.

J'avais un rêve. Un pur rêve de "prolo", démesuré. Dans la vie, quand t'es petit, tu vises haut. J'ai toujours cru que les poubelles du quartier avaient décidé à ma place ; c'est plus subtil que ça. Elles m'ont donné l'envie de fuir, mais c'est le foot qui m'a montré la direction.

Michael Mention, qui ne perd jamais de vue ses références en écriture (et ça se sent, sans doute encore un peu trop), n'oublie aucun ingrédient de la recette : un peu de contexte politique (l'élection de Mitterrand, le Front National et SOS Racisme), et un accompagnement musical. Sur ce dernier point, qu'il soit permis de soulever une protestation : le côté playlist systématique, depuis quelques années, devient lassant. Une chanson pour ouvrir chaque chapitre, c'est parfois raccord avec le sujet, là, ça sonne répétitif et inutile. 

Côté écriture, l'auteur recherche la sécheresse et le rythme des références précitées, avec un résultat qui manque d'épure. La morale de l'histoire, un peu trop dégoulinante ("L'important n'est pas d'être français mais de s'accepter comme tel. S'accepter pour mieux accepter l'autre, qu'il soit allemand, malien ou je ne sais quoi), était tout à fait dispensable. Certaines choses n'ont pas besoin d'être soulignées quand toute l'histoire nous l'a déjà fait comprendre. Mais, de tous les ouvrages de l'auteur, celui-ci s'avère le plus intéressant dans le sujet choisi et la façon de le traiter. La grosse tranche d'action et de suspense remplit son rôle et tient le lecteur jusqu'au bout du match.

Michaël Mention, Jeudi Noir, Ombres Noires, 2014, 17 €, 181 p.

Caroline de Benedetti

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