Les salons et festivals, j'ai toujours aimé aller y flâner, rencontrer l'auteur dont les romans me plaisent tant, et en découvrir d'autres. J'aurais pu, pour commencer, m'interroger sur cette incapacité à me contenter du livre et cette envie de franchir la barrière de la rencontre pour voir l'auteur "en vrai".
Les salons et festivals, ces dernières années, se sont multipliés - chaque ville veut le sien, dans cette éternelle course à la chose que l'on fait soi-même (comme les blogs) - , les auteurs sont plus nombreux. Il y a les gros salons machines à fric, et aussi beaucoup de petits lieux qui carburent tant bien que mal, entre les frais, la course aux sponsors et l’aide des bénévoles. Un système pernicieux qui actuellement fonctionne sur la course aux chiffres : obtenir le plus d'auteurs possible, et le plus de visiteurs. Il n'y a pas si longtemps à
Niort, dans le cadre de l'association, j'ai observé une autre façon de concevoir les rencontres d’auteur : ne pas inviter le plus grand nombre, mais bien en choisir quelques-uns et prendre le temps de les découvrir, parler avec eux. Et ça fonctionne. Tout le monde y trouve son compte. Bien sûr, on ne garde pas l’oeil vissé au compteur, de toute façon le livre attire rarement les hordes de promeneurs. Et d’où vient cette idée que la quantité fait la qualité ? À Cambrai aussi, la
médiathèque a innové lors d’une semaine polar où se croisaient exposition, conférence, film, lecture par des comédiens, table ronde et "seulement" quelques auteurs sélectionnés. À Montélimar c'est la formule cafés littéraires qui fonctionne. Les alternatives ne manquent pas.
Dans le monde du polar, Francis Mizio s'est exprimé sur ces points, d'abord en évoquant le sujet il y a quelques temps chez
Tata Rapporteuse pour pointer les défauts du salon parisien "Polar en plein coeur" : pas assez de visiteurs (c’est vrai, ça peut être triste, surtout avec 150 auteurs à occuper), pas assez d’alcool (on comprend la gravité de la situation), pas assez de têtes « célèbres » (pour qui ?), un prix décerné par intérêt (ce serait nouveau ?)... Le contre-exemple de Polar en plein coeur serait donc Paris Noir, un salon initié entre autre par Catherine Diran, à qui on pourrait reprocher, si l'on adopte le même oeil critique, d'être elle-même auteur de polars publiés au Masque, et donc pas extérieure au "milieu" et à ses influences. Le copinage, on en sort difficilement...
Il est indispensable aujourd'hui de remettre en cause tout un système, au-delà de la question des salons du livre. Francis Mizio a prolongé sa réflexion il y a quelques jours (ce qui a suscité plusieurs réactions) en annonçant dans un
texte détaillé - et qui sent la colère spontanée d'un mauvais week-end à poirauter derrière une table à dédicaces- qu'il ne participerait plus aux salons de dédicaces :
Si on veut aider les auteurs, qu'on les paie pour faire des choses plus intéressantes pour tout le monde et pour la littérature que de débiter du bouquin - opinion compréhensible - sauf rémunération par le biais d'une activité annexe :
En effet, je n'irai plus en dédicaces si ce n'est pas lié à un moyen de gagner ma vie (atelier d'écriture, rencontre, etc.) Le seul problème, c'est qu'il précise ensuite que
Le salon du polar de Pau "un aller et retour dans le Noir", convaincu par les arguments de la marraine de leur 1ère édition, Lalie Walker, vient de décider de rémunérer les auteurs en dédicaces lors de sa prochaine édition début octobre. Si nous le rejoignons sur bien des constats de son texte, et que nous sommes d'accord avec lui pour reconnaître que l'alignement à 50 auteurs dans une salle est inintéressant, il faut aller au bout de cette conviction : on ne lutte pas de manière efficace contre une pratique que l'on critique, en l'acceptant dès lors qu'elle est rémunérée. Nous devons tous bouffer pour vivre, mais peut-être faut-il encore conserver certains principes à ne pas brader. De plus, la dédicace en soi n'est pas inintéressante, il s'agit plutôt de la forme qu'elle revêt, et là chaque auteur le vit différemment. Il faut aussi prendre garde au revers de l'institutionnalisation de la dédicace payante, même s'il y a peu de chances (risques ?) que cela se produise. Ce sera une charge supplémentaire pour les organisateurs, pas toujours riches, qui deviendront plus exigeants et inviteront moins d'auteurs (et là, ce ne sera pas plus mal). Ceux-ci n'en arriveront-ils pas à faire le plus possible de salons possible pour gagner de l'argent ? Tout auteur n'est pas apte à s'exprimer sur n'importe quel sujet de conférence ou n'a pas envie d'animer un atelier et participer à une rencontre. Dans ce cas, doit-on le payer simplement pour signer ses romans ? Et pour des interviews ? Le fait de vouloir "professionnaliser" l'écriture, qu'est-ce que ça implique ? Si les salons ne sont pas intéressants, pourquoi ne pas cesser de participer au plus grand nombre (ou alors on considère effectivement qu'ils ramènent des lecteurs et qu'ils font vendre des livres) pour en sélectionner quelques-uns, les plus intéressants ?
En tout cas, si tout le monde n'est pas d'accord sur les causes et remèdes, l'unanimité semble acquise quant au peu d'intérêt des actuels foires et salons du livre. Bientôt un Grenelle ?
Il semble plus intéressant de se pencher sur le système éditorial, comme l'évoque Francis Mizio dans son texte. Je pense aussi au texte de
François Bon. Mieux vaut remettre en cause la source même de la misère des auteurs, un monde qui ramasse l'argent et multiplie, non pas les petits pains, mais les livres sur l'étalage, et a transformé depuis bien longtemps le livre en une marchandise comme une autre, faisant perdre par là-même toute idée d'auteur, l'homme ne devenant qu'une machine à écrire des histoires (plus ou moins bonnes) à la chaîne, chaque aspirant auteur du dimanche ayant une chance d'être publié pour alimenter cette machine gourmande qui se partage le gâteau des modes mercantiles. Là-dedans, pas sûr que le libraire (le vrai), ramasse plus que l'auteur. Actuellement, on doit pouvoir dire sans se tromper qu’en ce qui concerne le milieu du polar, puisqu'il en est question, ça ronronne sacrément et qu’il n’y a pas que du côté des salons qu’il faut secouer la poussière. Pensons en termes de littérature, de qualité d’écriture. À une époque où le roman de gare s’est transformé le plus souvent en un thriller à la Harlan Coben, il faut se poser certaines questions. Quand les auteurs qui, certes, cherchent comme tout le monde à pouvoir bouffer, en arrivent à écrire des bouquins pour écrire des bouquins, pas parce qu’ils ont des choses à dire ou une bonne histoire à raconter, mais qu’ils ont juste l’opportunité de publier dans telle ou telle collection qui se créé (parfois dirigée par des gens eux-mêmes auteurs...), peut-être qu'ils scient eux-mêmes la branche sur laquelle ils sont assis. Et quand on en entend certains expliquer sur des salons qu’ils ne se sont pas foulés et ont écrit vite fait, facile, un roman pour une commande, on peut penser que le problème principal, ce ne sont pas les dédicaces payantes. Ecrire un roman et vouloir gagner de l’argent par ce biais, oui. Vouloir gagner de l’argent et se dire : tiens, si j’écrivais/éditais un polar, y’a du fric à se faire, non. Non seulement la différence est de taille, mais elle concerne un paquet de parutions. L’écrivain ne doit pas forcément crever de faim pour être intéressant, mais la littérature ça veut dire quelque chose. Il serait dommage d'accepter qu'elle soit un produit industriel, ce qui est déjà bien installé aujourd'hui. Tout le monde se prend pour un auteur et a une "chance" d'être publié, il n'y a qu'à voir la prolifération de l'auto-édition. Me vient une question de néophyte : les auteurs ont-ils déjà tenté de se regrouper en "fédération" ou "syndicat" pour faire valoir leurs droits et peser dans la balance ?
Du côté des lecteurs, c’est le niveau d’exigence qu’il faudrait augmenter. Car apprécier un roman ce n’est pas toujours qu’une affaire de goût. Le goût ça se forme, comme en cinéma, comme en musique. Si l’on regarde l’ensemble des parutions et les « critiques » qui les accompagnent, on distingue une masse informe dont n’émerge pas grand chose, chaque roman est « stupéfiant », « haletant », « magnifique » et le Ellroy sorti l’année dernière à grand fracas n’a fait parler de lui que le temps de la promo, à peine eclipsé par un pseudo scandale de réédition de "roman fasciste". Ne pourrait-on pas réfléchir plus sur l’écriture ? Donner de vrais coups de pied dans le tas ? Moins d'avis tièdes et identiques sur les nouveautés qui sortent chaque mois ?
C'est pour ça qu'en ce qui concerne Fondu Au Noir l'objectif est clair, s'entourer de passionnés, voire de spécialistes dans leur genre, des gens qui soient le moins possible partie prenante du "milieu" pour porter un oeil neuf sur lui. Créer un magazine qui ne dise pas ce que tout le monde dit déjà, penser en terme de littérature et mener des actions avec des auteurs compétents. C'est dans ce sens que nous montons nos différents projets, petit à petit, avec nos moyens et à peu près sans l'aide de personne car la "famille" polar, toujours très contente qu'on parle d'elle, ne se rend compte qu'on existe que quand ça l'arrange - à de très rares exceptions près. Mon point de vue sur ce débat inévitable et souhaitable des évènements littéraires, c'est oui aux formes ponctuelles, aux idées un peu folles, au mélange des genres, à toutes les initiatives, et à l'émulation. Aujourd'hui, j'ai hâte de voir fleurir les salons du futur - qui banniront les mots "salon" et "festival" dans toutes leurs nouvelles formes. Quelque chose qui sortira les visiteurs de leur rôle passif d’acheteurs de supermarché, et les auteurs de leur derrière de table, quand ils le souhaitent.
Caroline de Benedetti.