Hors la loi, Belletto

samedi 23 octobre 2010


J’ai refermé Hors la loi en envisageant n’avoir parfois pas tout saisi de l’intention du roman, de son procédé narratif. La façon de raconter l’histoire, son aspect scénaristique, m’ont au départ freinée. Le côté descriptif, restitution des faits, se justifie pourtant. Le roman n’est autre que l’histoire de Luis Archer racontée par lui-même ; plusieurs fois il se mettra en scène en train de noter consciencieusement dans son carnet les événements qui se produisent. Le lecteur, lui, est convié dès le début : "le lecteur se fera son opinion s’il le souhaite..." Il est donc positionné très rapidement à l’extérieur, spectateur. Effet accentué par le nom du héros. Au prénom hispanique, Luis, est associé Archer, un nom qui, selon moi, n’est pas à prononcer à la française mais à l’américaine (à cause de Lew Archer, que les amateurs de polar connaissent, et de Sean Archer du film Volte Face – on a les références qu’on mérite...) Les références de Belletto sont plus pointues : la musique classique abonde puisque le personnage principal est professeur de musique, qu’il joue du piano et parfois de la guitare, et qu’il retranscrit des compositions anciennes. La mort d’une de ses élèves, la fascination pour une femme inconnue, et son amitié avec Maxime le mystérieux expert en droit amèneront Luis Archer à raconter ce qui lui est arrivé. Point de départ :
"Je m’appelle Luis Archer. Je suis né le 6 juin 1966 il y a quarante-deux ans aujourd’hui jour pour jour. Je suis mort le 6 juin 1966 , il y a quarante-deux ans aujourd’hui jour pour jour."

La suite du roman réside dans la compréhension de ces premières lignes. Archer a du mal à vivre, du mal à faire durer une histoire avec une femme (une pendue rôde dans son passé), du mal à se sociabiliser, et des morts vont modifier le cours de sa vie. Le roman prend soudain un virage science-fictionnesque – de ceux qui valent parfois à un roman son classement immédiat au rayon SF (Mircea Cartarescu avec Orbitor, par exemple). L’agréable, je l’ai trouvé dans la richesse du vocabulaire, comme la découverte du féminin de zigoteau : zigotelle, ou encore l’expression "s’emberloquer", autant d’occasions plaisantes d’aller ouvrir un dictionnaire – ça n’arrive pas tous les jours grâce à un roman. Fascinant aussi, le déroulé d’une histoire qui prend de plus en plus d’ampleur, ce sentiment d’assister à quelque chose qui m’échappe. Coïncidences, boucle du temps, réalité et fiction, ces thèmes forment la trame du roman. Chacun pourra y trouver du sens, un sens. J’y ai perçu la vie et la mort d’un personnage de fiction, qui cesse d’exister dès lors que son auteur pose la plume avec laquelle il racontait son histoire. Un livre qu’on imagine aisément relire pour bien le comprendre, quoique le plaisir se trouve aussi dans le fait de le saisir intuitivement. C’est donc une lecture déboussolante qui peine à pouvoir être mise en mots, et si certains ont lu ce Hors la loi je serai curieuse de savoir ce qu’ils ont ressenti.

René Belletto, Hors la loi, P.O.L., 2010, 483p., 19,90 euros

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